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Samuel Fuller

Du vendredi 05 janvier 2018
au jeudi 08 février 2018


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Un soldat agonisant, dans Les Maraudeurs attaquent, qui demande à Merrill si Lemtchek s’en est sorti : « Il était devant moi, je l’ai vu tomber, est-ce qu’il s’en est tiré ? », demandait-il au général en mourant sous ses yeux. « Est-ce que Lemtchek s’en est tiré ? », interrogeait alors, à son tour, le général Merrill. « C’était lui Lemtchek », répondra un de ses camarades. Ou encore, une femme qui perd sa chevelure en cassant la figure de son mac dans la scène d’ouverture de Police spéciale_. Un homme qui tire sur la femme qu’il aime pour atteindre l’homme qui se cachait derrière elle, et qui la laisse dans la poussière de la rue, jetant à la ronde, sans un regard pour elle : « Appelez un docteur, elle vivra » (Quarante tueurs_). Et cet homme, noir, qui se prend pour un membre du KKK et exhorte à la haine raciale (Shock Corridor), ou celui-ci, fauché par une rafale dans Porte de Chine après nous avoir raconté avec un accent de comédie pourquoi il était heureux d’être à la guerre… Les films de Samuel Fuller sont truffés de scènes choc, de trouvailles stylistiques et d’histoires secondaires qui viennent parachever par l’humour – souvent noir – une intrigue principale toujours originale, et qu’il mène d’une manière sèche, sinon brutale, comme la vie peut l’être. Frappante, violente, foudroyante ; la mort jamais très loin, saisissante et pourtant anti-spectaculaire (tout le contraire d’un Peckinpah pour citer un faux-ami). Un cinéma où la vie et la mort sont intimement liées. Où des soldats peuvent aider une jeune femme à accoucher dans un tank (Au-delà de la gloire_) en s’amusant de la proximité phonétique de « poussez » et « pussy ». Comme on peut passer d’une scène de mariage à une scène d’enterrement en quelques plans (_Quarante tueurs), la mariée devenant veuve en un fondu enchaîné, passant d’un montage très découpé (l’assassinat du jeune marié) à un travelling, saisissant le deuil en un seul plan expressionniste. Tel est le cinéma de Fuller. Une véritable « Touch » comme on dit de Lubitsch : La Fuller de vivre.

La Fuller Touch c’est d’abord cette manière de conjuguer des séquences très découpées, constituées de courts plans, avec de longs plans-séquences que des mouvements d’appareils viennent constamment recadrer (voir son art du long travelling latéral que Jarmusch a repris à son compte), soulignant ce que le spectateur doit regarder autant qu’il marque le point de vue de celui qui raconte. Parce que si Fuller est un formidable raconteur d’histoires, il n’oublie jamais de nous rappeler qu’IL nous raconte une histoire, modulant ses effets en jouant de la place de la caméra qui, tout en nous incluant dans l’action, nous rappelle en permanence qu’elle est la voix du conteur. Un assemblage et une circulation de points de vues qu’illustrent parfaitement les jeux de regards dans la scène du tramway du Port de la drogue, à la fois démonstration de mise en scène et métaphore de l’accord tacite qui nous lie, spectateurs, au cinéaste : les agents fédéraux représentant alors la place du spectateur, observant la scène qui se joue entre Richard Widmark et Jean Peters, en voyant – donc en sachant – plus qu’elle, mais qui voient les portes du métro se fermer sur leur nez quand ils veulent agir. Des portes à travers lesquelles on peut regarder mais que l’on ne peut traverser ; comme un écran de cinéma. Une fermeture de portes inopinée, rappelant la prépondérance de celui qui raconte sur celui qui regarde. Et au final, une présence marquée du cinéaste que l’on pourrait craindre suffisante et qui au contraire, par sa franchise, assure un lien de proximité avec le spectateur. Parce qu’au-delà de son style, Fuller croit avant tout à ces histoires qu’il raconte avec l’engagement d’un honnête éditorialiste. Parce qu’il les a vécues ou observées. L’expérience de la guerre par exemple – caporal dans la Big Red One durant la Seconde Guerre mondiale, il a fait les débarquements en Afrique du Nord, en Sicile et en Normandie jusqu’à la libération du camp de Falkenau – fait de ses films de guerre (comme de ses westerns) de subversives remises en cause de la notion d’héroïsme. Et puis, surtout, l’expérience du journalisme – sa formation première et sa passion (voir Violences à Park Row, son film préféré) – qui lui a tout autant fourni un réservoir d’histoires et de personnages, mais que l’on retrouve principalement dans son traitement de sujets de société (la question du racisme bien sûr, présente dans plusieurs films au-delà de Dressé pour tuer) et dans sa volonté de toucher une vérité, sinon cachée ou tue, omise. Un journal ne ment pas mais il élimine certaines nouvelles, disait-il, ce qui est une forme de mensonge. Et l’on repensera à la fameuse réplique d’un journaliste à James Stewart dans L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford : quand la légende devient réalité, on imprime la légende. Fuller serait plutôt du côté des faits que de la légende, cassant les codes et l’imagerie d’une Amérique bien-pensante. Il fait des films comme un rédacteur en chef de journal fait sa une, choisissant les nouvelles que les autres élimineraient. Mais à condition que cela fasse une bonne histoire, gardant toujours à l’esprit la fameuse leçon de Charles Dana, célèbre éditorialiste du XIXe siècle : « quand un chien mord un homme, ce n’est pas une nouvelle. Ça arrive tout le temps. Mais si un homme mord un chien, ça c’est une nouvelle ». Ce qui résumerait assez bien le cinéma fullerien : des histoires qui ont du chien et qu’il raconte de façon mordante. Une certaine Fuller de vivre.

Franck Lubet, responsable de la programmation

Bibliographie Samuel Fuller