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Costa-Gavras

Du mardi 27 mars 2018
au dimanche 29 avril 2018


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Il n’y a pas de film innocent

Quand le cinéma vous tombe dessus… Comme l’amour peut vous cueillir au coin d’une rue. Ce fameux coup de foudre qui tombe sans crier gare ; comme au hasard ; coup du sort ou doigt du destin… Ce pourrait être l’histoire de Costa-Gavras. Celle d’un adolescent à Athènes qui croise la route d’_Un Américain à Paris_ à la pause de son premier jour de travail et qui oublie de retourner à l’atelier. Celle d’un jeune Grec d’une vingtaine d’années, fraîchement débarqué à Paris tout seul, qui suit un groupe parlant d’aller voir un film dans un endroit appelé Cinémathèque – La Cinémathèque française dont il est aujourd’hui le président depuis dix ans (poste qu’il occupa déjà dans les années 1980 : de 1982 à 1987). L’histoire, encore, d’un étudiant qui apprend, grâce à une spectatrice de la Cinémathèque devenue amie, l’existence d’une école de cinéma – l’IDHEC, ancêtre de la FEMIS – et qui va l’intégrer. Ou celle, enfin, d’un jeune assistant très recherché (il a travaillé avec Henri Verneuil, avec René Clément, René Clair, Jacques Demy, et même avec Clouzot…) qui va réaliser son premier film, Compartiment tueurs (1965), presque malgré lui (lire à ce sujet le chapitre « De l’enfer aux tueurs » de ses mémoires)… À croire que c’est le cinéma qui a choisi Costa-Gavras et non Costa-Gavras qui a choisi le cinéma. Il s’agit pourtant bien là d’un cinéaste qui s’en est complètement emparé et qui se l’est définitivement approprié. Costa-Gavras, ou le cinéma n’est pas un art innocent.
De l’innocence, il est question dès Compartiment tueurs, un whodunit où un Montand en flic inattendu enquête sur une série de meurtres : qui est le coupable ?… Il en est question dans le suivant, Un homme de trop, le meilleur film français sur le maquis, où, après avoir libéré des camarades des mains des nazis, un groupe de Résistants se retrouve avec un homme en trop ; un homme au comportement étrange, mystérieux, donc douteux. Par sécurité, pour la cause, parce que c’est un ordre, il faudrait l’abattre. Qui est coupable ? (sans plus l’article)… Il en est encore question dans Z, son troisième film en résonance directe avec la dictature des colonels en Grèce, où un juge enquête sur la mort d’un député, un assassinat que les autorités tentent de faire passer pour un accident. Un régime, un État, est coupable. Sans plus le point d’interrogation…
De l’innocence et de la culpabilité. Il en sera question dans tous les films de Costa-Gavras. Du doute à l’affirmation. De la raison d’État au bon sens populaire. De la justice et de l’injustice.

« Il n’y a pas de film innocent », dira-t-il un jour au cours d’un entretien. Est-ce à dire qu’il pourrait y avoir des films coupables ? Peut-être bien, oui. Certainement même. Que le cinéma est faillible aussi.
Mais cela peut également vouloir dire que tout film est un acte, un engagement. De l’innocence comme il va de la responsabilité. Comme on dit d’un geste qu’il n’est pas innocent : déterminé par une cause (sociale ou politique) ; avec détermination ou déterminisme.
Innocent ou coupable : moins, finalement, dans le sens d’une culpabilité désignée au cours d’une enquête ou d’un procès (le procès, sous toutes ses formes, est un élément récurent et très important de son cinéma) que dans la conscience d’un engagement face à une situation qui demande d’agir (courage, lâcheté, morale). Tous les personnages chez Costa-Gavras se définissent par leurs actes comme chacun de ses films est un acte. Film-acte plus que film d’action, ou thriller, dont il prend généralement la forme. « Parce que la forme du thriller fait monter au mieux le fond de la réalité, selon Victor Hugo », écrira-t-il.
Une réalité en actes, donc.
Contre les autoritarismes : les dictatures militaires (Z, État de siège, Missing_), le stalinisme (L’Aveu_), l’impérialisme américain (État de siège, Missing_) ; contre le racisme (La Main droite du diable_), le conflit israélo-palestinien (Hanna K.), le capitalisme (Mad City, Le Couperet, Le Capital)…
Contre l’aveuglement de façon plus générale – consenti ou subi. L’aveuglement, au nom du Parti, des victimes des procès staliniens dont on manipule les dépositions : L’Aveu. Celui de journalistes qui, au nom de l’audimat, manipulent les témoignages d’une télévision devenue tribunal populaire : Mad City_.
Contre l’aveuglement, pour le regard. Un père qui découvre petit à petit un fils, victime de la junte militaire, qu’il ne voulait plus voir (_Missing
). Ou une fille qui découvre que son père, qu’elle défend au cours d’un procès, est un criminel de guerre nazi : Music Box.
Les films de Costa-Gavras ne sont pas innocents dans leurs thèmes et leurs sujets. Incontestablement. C’est ce qui fait leur réputation première. Ils ne le sont pas non plus dans leur forme (le thriller politique et historique, et la mise en place de situations anxiogènes) et au-delà de leur forme (voir l’ouverture de Mad City où une interview télé est montée comme un braquage de banque). La question du regard (de ce qui est montré, caché, maquillé) y est prégnante. Regarder en face ou refuser de voir. Avoir les yeux bandés ou le regard perçant à travers les trous d’une cagoule. Être épié ou être mis à nu. L’acte de regarder n’est jamais innocent dans un film de Costa-Gavras. Il rappelle que pour un spectateur non plus, regarder un film n’est pas innocent.

Franck Lubet, responsable de la programmation