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Aki Kaurismäki

Du samedi 28 avril 2018
au jeudi 31 mai 2018


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l’indispensable cinéma

« 30% d’Ozu, 30% de De Sica, 15% de Sirk, 20% de Hopper, 10% de Capra », voilà comment se définit Aki Kaurismäki. Au final, « Cela fait 105% ! ». « Et où suis-je là-dedans ? », se demande-t-il alors. « Je ne suis pas un cinéaste, mais un shaker de cocktail. » Il a pourtant beau voler, emprunter, convoquer les références sans se cacher ; au final on obtient du pur Kaurismäki. Un cocktail 200% Kaurismäki. Car nul ne lui ressemble. Shake, shake, shake, c’est peut-être là la meilleure définition du cinéma : un shaker d’où l’on invente des cocktails.
Celui de Kaurismäki pourrait s’appeler « Âme givrée ». Une grosse lichette d’humanisme. Une généreuse pincée de désespoir assumé, sinon amusé. Et pour lier le tout : un beau nuage d’humour à froid, déjanté, quasiment burlesque. Passés au shaker, cela donne une détonante loufoquerie mélancolique.
Le cinéma de Kaurismäki propose un regard sur la société des hommes comme elle va. Et plus elle va mal, plus son regard est remède. Un cinéma de la dignité. Celle des exclus, des laissés-pour-compte, des marginaux, des désaxés. Un cinéma qui réchauffe, qui enivre, qui transporte. Un cinéma cocktail. Qui fait du bien au cœur et aux yeux. Un cinéma auquel on s’accroche comme on ancre son regard au fond de son verre vide, très tard dans les brasseries borgnes, quand, vidé soi-même, on touche enfin quelque chose du mystère des tréfonds de l’âme et que l’on n’a pas envie d’en remonter. Kaurismäki en remonte toujours. Il en remonte la lumière. Une lumière qu’aimerait lui disputer Diogène quand il cherche un homme en plein midi. Une lumière d’âme. Kaurismäki est un veilleur de nuit (voir Les Lumières du faubourg, le début de L’Autre Côté de l’espoir). Il ne cherche pas à nous éclairer, il veille sur nos ténèbres.
Cinéphile, enfant des ciné-clubs puis de la Cinémathèque de Finlande, critique, mais aussi manutentionnaire sur des chantiers, facteur, sableur, journaliste, plongeur dans des restaurants…, pouvant regarder de trois à six films par jour, et recalé à l’entrée de l’école de cinéma, Kaurismäki est un autodidacte qui a appris le cinéma en regardant des films et la vie en enchaînant les petits boulots. Et s’il y a du cinéma dans sa vie, il y a de la vie dans son cinéma.
Il attaque avec son frère Mika par un documentaire sur le rock’n roll finlandais – ce qui n’étonnera pas. Mais son vrai premier film, seul, sera une adaptation réputée inadaptable. Crime et châtiment en 1983. Comme un défi. Au cinéma, plus qu’à lui-même. À Hitchcock plus spécifiquement, qui disait à Truffaut au cours de leurs fameux entretiens qu’il ne toucherait jamais à Dostoïevski. Quitte à apprendre sur le tas, autant commencer fort.
Il ne s’arrêtera plus, s’entourant d’une véritable famille d’acteurs (Kati Outinen, Matti Pellonpää, Jean-Pierre Léaud, André Wilms…) et de techniciens (Timo Salminen à la photo, Jouko Lumme au son…) et développant au fil des films un cinéma des plus personnels que l’on pourra caractériser par son mutisme, le dépouillement de sa mise en scène, ses bandes-sons jouissives et ses cadrages précis. Même si, dit-il, « On ne voit apparaître un réel dépouillement que dans La Fille aux allumettes. Visuellement, Crime et châtiment n’est même pas vraiment dans mon style. Il reflète ce que je savais faire à l’époque, une sorte de narration primaire semi-classique agrémentée de trop de mouvements de caméra. Ces derniers trahissent toujours un réalisateur peu sûr de sa narration. C’est le moyen le plus facile de masquer qu’on ne sait pas, en réalité, comment résoudre une scène, et cela crée en même temps l’illusion qu’il y a quelque chose qui bouge dans le récit – ne serait-ce que la caméra, à défaut d’autre chose. » Il y a peut-être un avant et un après La Fille aux allumettes_. Il y a surtout des plans aussi simples et beaux qu’un homme assis côte à côte d’une femme, sans rien dire, prenant le temps du silence, sans se regarder ; et elle qui pose la tête sur son épaule ; et lui qui passe son bras pour l’enlacer ; toujours regardant droit devant soi, toujours sans rien dire (_Tiens ton foulard, Tatiana).
Le cinéma peut avoir quelque chose de magique par moments. Il peut même arriver que la vie lui rende tout ce qu’elle lui a volé, pour reprendre une formule godardienne. Ou comme dirait Aki Kaurismäki : « Le cinéma est indispensable. Pas la vie. »

Franck Lubet, Responsable de la programmation

En collaboration avec le Festival International du Film de la Rochelle qui reprendra la rétrospective « Aki Kaurismäki » lors de sa prochaine édition (29 juin – 8 juillet 2018).

Colloque international Stase d’écrit, stase d’écran

Annulé (3 – 5 mai 2018)
Université Toulouse Jean Jaurès
Organisateurs : Philippe Ragel et Sylvie Vignes (professeurs, PLH)
Dans son ouvrage Aisthesis, Jacques Rancière isole quatorze scènes qu’il identifie au « régime esthétique de l’art ». Parmi les nombreux paradigmes qui traversent ces scènes, il en est un qui se révèle particulièrement récurrent sous sa plume : le suspense des actions et des événements.
Le colloque international Stase d’écrit, stase d’écran s’attachera à repérer ces moments de distension narrative, autant en littérature que dans le 7e Art, pour étudier les conditions et les régimes de leurs manifestations.

Bibliographie sélective sur Aki Kaurismäki