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Hawks / Carpenter

Du mardi 14 mai 2024
au dimanche 30 juin 2024


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Regard croisé sur deux cinéastes. Entre deux cinéastes. Nous aimons bien proposer ce genre de mise en regard, sortir de la simple monographie. Michelangelo Antonioni / Ingmar Bergman. George Cukor / Max Ophuls. Gina Lollobrigida / Sophia Loren. Bette Davis / Joan Crawford. Dean Martin / Frank Sinatra… Nous y revenons régulièrement. Cela permet de mieux éclairer les spécificités de mise en scène de cinéastes appartenant à la même famille (Cukor et Ophuls sont, par exemple, considérés comme de très grands directeurs d’actrices), ou de pointer, sur le modèle de la politique des acteurs de Luc Moullet, les singularités de jeu d’acteurs et actrices que la cinéphilie aime à rapprocher ou à opposer. École du regard toujours. Et plaisir double surtout. Mais si jusqu’ici nous avons proposé ce genre de regard croisé sur des figures du cinéma qui sont contemporaines l’une de l’autre, ce coup-ci nous partons sur deux cinéastes de générations différentes. Howard Hawks (1896-1977). John Carpenter (1948-). Une histoire de filiation.

Howard Hawks, d’abord, est un des maîtres du cinéma classique américain. Il commence sa carrière avec le cinéma muet, dans le courant des années 1920, et deviendra un des piliers de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Aussi à l’aise dans la comédie musicale que dans le western ou le film noir, il s’est particulièrement illustré dans la screwball comedy, des comédies menées tambour battant à coups de dialogues aussi percussifs que corrosifs. Les dialogues qui se chevauchent – un acteur n’ayant pas fini sa tirade que l’autre a commencé la sienne – sont une de ses marques de fabrique. L’autre, c’est de filmer à « hauteur d’homme » (et de femme, devrions-nous ajouter aujourd’hui), ainsi que l’écrivait Jacques Rivette dans les Cahiers du cinéma à la couverture jaune. Comprenez : les personnages, et les acteurs et actrices qui les incarnent, sont au cœur de la mise en scène. Admiré par les « jeunes Turcs » des Cahiers, il sera un exemple et un moteur alimentant la démonstration de la politique des auteurs.
John Carpenter, lui, commence dans les années 1970, au cœur du Nouvel Hollywood. Et il est aujourd’hui considéré comme un des maîtres du cinéma américain d’horreur et de science-fiction. Outsider de la culture approuvée, désormais reconnu par la critique comme un véritable auteur, admiré par toute une jeune génération, il fait figure à présent de « classique » de la nouvelle cinéphilie. Dark Star, son premier film (film de fin d’études gonflé) sort en 1974, alors que Hawks n’a plus tourné depuis 1970 et son Rio Lobo, une variation de l’indémodable Rio Bravo. Mais c’est avec son premier « vrai » film – Assaut, sorti en 1975 – que Carpenter s’inscrit dans les pas de Hawks. Assaut est un remake de Rio Bravo, transposé dans l’époque contemporaine. Et si ce n’était pas assez clair, il en signe le montage sous le pseudonyme de John T. Chance, le nom du shérif incarné par John Wayne dans le western de Hawks. Et s’il fallait que cette filiation soit adoubée par l’histoire du cinéma, le film rencontrera des problèmes avec la censure, à cause de sa violence, comme le Scarface (1932) de Hawks en son temps.

Carpenter n’a jamais caché son admiration pour le cinéma de Howard Hawks. Il s’en revendique. Comme lui, il filme à hauteur d’homme, et de femme. Comme chez Hawks, ses personnages sont des professionnels qui ont un travail à faire et qui vont l’accomplir sans état d’âme. Chez Hawks comme chez Carpenter, les personnages doivent affronter une situation et vont tout faire pour la surmonter. Ils se définissent par leurs actes ; dans l’action. Ils sont au cœur de la mise en scène. Et ils sont extrêmement caractérisés. Cette mise en scène, elle est simple (ce qui est compliqué), elle est épurée, à l’os, frontale. Elle est d’une efficacité indémodable, que ce soit chez l’un comme chez l’autre. Le contemporain qui est une influence considérable pour les cinéastes actuels, comme chez son aïeul dont des séquences sont encore à montrer dans toutes les écoles de cinéma.

Alors on aurait pu consacrer une rétrospective à l’un et puis à l’autre. Mais quel intérêt ? L’un et l’autre ne sont plus à défendre. Ils n’ont plus besoin de la pastille « à découvrir absolument ». Ils sont connus et reconnus, vus et revus. Mais ils sont généralement connus l’un sans l’autre. D’où l’envie de les montrer ensemble. Outre le plaisir de revoir leurs films en salle, montrer que le classique d’aujourd’hui vient du classicisme d’hier. Tracer une ligne ou remonter les racines. Amener les amateurs de Carpenter à découvrir la jouissance devant un Hawks et vice versa. Passer de l’un à l’autre dans un même temps. Voir ce qu’il y a de hawksien chez Carpenter. Et qui sait, ce qu’il y avait déjà de Carpenter chez Hawks. Le cinéma nous réserve toujours des surprises…

Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse