En prévision du projet de réaménagement des espaces rue du Taur, la bibliothèque de la Cinémathèque de Toulouse est fermée au public jusqu’à la fin des travaux. Nous vous remercions de votre compréhension.

La Révolution des Œillets

Du mardi 14 mai 2024
au mercredi 29 mai 2024


Voir les projections

La Révolution des Œillets
à travers le cinéma documentaire portugais, 1974-1982

Le 25 avril 1974, au Portugal, un mouvement militaire et populaire mettait fin à cinquante ans d’un régime autoritaire qui avait commencé avec un coup d’État le 28 mai 1926. En une nuit (et quelques jours) tombait l’Estado Novo, république anti-démocratique mise en place et dirigée par Salazar de 1933 à 1968, puis par Marcelo Caetano, président du conseil au moment des faits. Une république antidémocratique que l’on appellera dictature salazariste. Un coup d’État d’une nuit mené par les capitaines putschistes du MFA (Mouvement des Forces Armées) et que l’on appellera Révolution des Œillets pour la fleur que les militaires portaient à leurs fusils en signe de ralliement au peuple.

La Révolution des Œillets est un épisode particulier de l’histoire européenne de la fin du XXe siècle. Où la chute d’un régime totalitaire est intimement liée au processus de décolonisation. Initiée par des militaires fatigués des guerres coloniales (contre les mouvements indépendantistes des colonies portugaises) menées par le Régime depuis le début des années 1960, elle débouchera sur une démocratisation insurrectionnelle. Des conditions qui pourraient s’apparenter à celles qui ont mené la Russie de 1917 à la Révolution, mais qui ne dépasseront pas le stade de la transition démocratique. Le Portugal n’en connut pas moins deux années d’agitation politique intense, période d’un possible basculement du pays vers le socialisme, que l’on appela Processus Révolutionnaire En Cours (PREC). Une période agitée, sinon incertaine, durant laquelle les utopies socialistes – notamment les tentatives de réorganisation collectiviste des forces de production – ont trouvé un certain regain, rencontré les obstacles de toujours et trébuché sur leur lot de trahisons.

Le cinéma – principalement documentaire parce que plus léger et réactif que le cinéma de fiction – a largement couvert l’événement et l’épisode révolutionnaire en cours qui a suivi. Non seulement il en a été témoin, mais il en a également été acteur. Et au-delà de la période politique dont il a enregistré la ferveur et les désillusions, période qu’il saisit et documente d’un point de vue historique, il se donne lui-même dans cette idée effervescente que le cinéma est une arme de progrès. Il y a dans le cinéma documentaire portugais de cette période quelque chose de l’esprit du cinéma soviétique des années 1920 : dans la Révolution et faisant sa propre révolution. Dans l’action et dans la réflexion. Ou, si Dziga Vertov a théorisé le « ciné-œil », les cinéastes portugais ont inventé le « ciné-œillets ». Un cinéma qui saisit l’Histoire en marche et la marche de l’Histoire, son fonctionnement. Un cinéma qui écrit l’Histoire et qui en même temps en propose une lecture.

On trouvera dans cette page d’histoire du cinéma direct, du reportage indépendant, du cinéma militant, voire de l’agit-prop. Mais aussi des essais à partir de montages d’archives, de l’analyse d’images et de l’analyse à partir des images… On verra un cinéma documentaire en train de se construire, de se réinventer, tout en s’inquiétant de la représentation du peuple – sa représentation à l’écran et la bonne restitution de sa voix. Un cinéma qui questionne le statut des images et la place du réel dans l’écriture des mythes.

Ou, à travers la Révolution des Œillets (50 ans cette année), la découverte d’une facette méconnue du cinéma portugais et du cinéma documentaire plus largement. Une leçon de réel.

Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse