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Sam Peckinpah

Du mardi 13 octobre 2015
au jeudi 29 octobre 2015


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1925-1984. Le dernier des Mohicans de Hollywood. De la lignée des John Ford et Allan Dwan. Le trait d’union entre le Hollywood classique et le Nouvel Hollywood. Le père du cinéma moderne, de Martin Scorsese à Quentin Tarantino en passant par Walter Hill et John Carpenter. Sam Peckinpah est un entre-deux. Et l’entre-deux sera justement l’essence de son cinéma. Celui entre deux époques, cinématographiques d’abord, mais aussi dans ses récits. La fin d’une époque au tout début, à la bascule, d’une nouvelle ère. Celui de personnages en décalage avec leur temps, appartenant à un temps révolu et devant disparaître avec lui ou vivre sans. Celui aussi qui oppose et réunit deux personnages. Un entre-deux comme un vide ; un fossé impossible à combler sinon à réunir par une passerelle qui donne le vertige, celle de la violence.

La violence. Le moteur de Peckinpah. De l’homme d’abord. Dans ses rapports humains. Sa propension à semer le chaos sur les plateaux, à virer à tour de bras, et à se faire virer lui-même (Le Kid de Cincinnati) ; à créer le conflit avec ses collaborateurs, avec ses acteurs (Charlton Heston l’aurait chargé sabre au clair sur Major Dundee) mais surtout avec les studios (sur le même Major Dundee, Columbia voulait stopper le film et c’est Charlton Heston qui l’en empêcha en gageant son propre salaire). Sans parler de sa capacité à déclencher des bagarres dans les bouges mexicains. Ajoutez à cela un fort penchant pour la bouteille et la drogue et vous tenez la recette d’un cinéaste irascible et complètement incontrôlable. Mais bourré de talent. Un électron libre en guerre contre (tout) le monde et l’establishment. De quoi en faire une légende. Le lonesome cowboy du cinéma.

La violence encore. Le moteur du cinéma de Peckinpah. Une esthétique. Et plus encore, une thématique. Un traitement. On a beaucoup écrit sur le sujet et le plus souvent pour parler de fascination sinon de complaisance. Le rapport à la violence est effectivement un élément constitutif du cinéma de Peckinpah. Ou plutôt la violence sous tous ses rapports. Des formes de violence qui ne s’arrêtent pas à un seul aspect formaliste : le ralenti. Pulsions de morts, instinct de survie, violence sauvage, violence légale. La violence dans les rapports humains et dans le rapport au monde. La violence n’est pas que graphique chez Peckinpah, elle est aussi affaire de morale et du côté de la morale où on se trouve. Le cinéma de Peckinpah offre un glossaire de la violence. Il la complexifie. Mais surtout, et c’est souvent ce qui déplaît, il en fait le lien principal de la société, le terreau de toute civilisation. Une vision pessimiste du monde qui s’accorde parfaitement avec le ton crépusculaire de ses films. Parce que la puissance du cinéma de Peckinpah ne se trouve certainement pas dans une sorte de jouissance cinématographique de la violence, mais dans l’expression d’une forme de mélancolie sourde dont la violence serait le vecteur.

La violence, enfin, comme poétique de la mélancolie. C’est le sentiment le plus fort qui traverse le cinéma de Peckinpah. La mélancolie. Celle du déracinement, géographique ou temporel. La mélancolie d’un temps révolu, d’un temps mythique. Comme la reconstruction par le cinéma d’un temps qui n’existe plus et qui n’a peut-être jamais réellement existé. Une recréation. Une invention. Une manière de vivre dans un fantasme du passé, ou un passé fantasmé, et de devoir faire face au temps présent. Celui de l’action. Par l’action. Les personnages de Peckinpah sont toujours des hommes d’action. Même s’ils sont trop vieux, diminués, intellos ou losers, ils se définissent par leurs actes. Des hommes, du passé ou dépassés, forcés d’agir. Et pas tant par espoir que par désespoir. Pas parce qu’ils auraient quelque chose à perdre, mais plutôt parce qu’ils n’ont rien à gagner. Cela donne un cinéma totalement crépusculaire dont chaque film, comme chaque récit, serait un dernier baroud d’honneur. Un cinéma crépusculaire dans le fond, dans les sujets et, paradoxalement, complètement novateur dans la forme, dans la manière de conduire le récit. Une écriture cinématographique neuve à la recherche d’un temps perdu. Peut-être bien celui de l’innocence. Même et surtout si celle-ci commence avec le rire d’enfants qui s’amusent à regarder des fourmis et des scorpions en train de s’entretuer dans un cercle de feu.

Franck Lubet