GLAMOUR
« Je n’ai pas l’intention de diminuer la grandeur de la féminité, car rien au monde n’est plus gracieux et séduisant qu’une femme en plein épanouissement. La nature a fait maintes expériences avant d’arriver à une version parfaite. Mais l’homme ne se satisfait pas de reconnaître à une femme les qualités extraordinaires qui ont mis des millions d’années à éclore et lui préfère souvent une image dont les qualités sont nées de la fraction de seconde qui a servi à enfermer la réalité dans une boîte noire pour en faire illusion ». Ainsi parlait Josef von Sternberg pour Esquire en 1963. Il y disait aussi : « en photographie, le glamour, c’est le traitement de la surface, une surface qui n’a même pas l’épaisseur de l’épiderme ; elle n’a que l’épaisseur du papier qui reproduit l’image. Au cas où on ne l’aurait pas encore bien compris, la beauté intérieure et la beauté extérieure ne partagent pas la même adresse ». Ou encore : « il faut naturellement considérer que le summum du glamour n’est accessible qu’à condition de disposer d’une formidable personnalité. Quels que soient ses pouvoirs de séduction, une femme nue sur un calendrier n’est qu’une parmi un millier d’autres, tant qu’elle n’est pas identifiée à la personnalité d’une Marilyn Monroe ».
En quelques mots, Josef von Sternberg pose à la fois la définition et la problématique du glamour. Le naturel et l’artifice. La photogénie et l’art d’éclairer le sujet photographié. Le don naturel de prendre la lumière et l’art, la maîtrise, de la lumière pour sublimer le naturel. Toute l’essence du glamour et de cette programmation.
Le glamour, c’est d’abord une image. Un regard, une moue, une inclinaison du visage, un profil. Une pose. Le glamour, c’est avant tout l’image.
Il est né dans le cinéma hollywoodien des années 1930. Il existait déjà dans les années 1920, mais les studios l’ont développé avec l’arrivée du code Hays1. Le glamour, c’est l’art de suggérer la sensualité, principalement féminine (mais pas que – voir Gary Cooper ou Clark Gable), sans enfreindre les lois du code. C’est l’art de la contradiction du puritanisme américain. Montrer l’air de rien. Regarder sans en avoir l’air.
Il vivra ses plus beaux jours jusqu’aux signes de fatigue du code et au déclin des studios dans les années 1960. Principalement dans les années 1930 et 1940. Le summum de l’hypocrisie de l’industrie et de l’art de fabriquer du faux plus vrai que nature : l’apogée du star-système.
Le glamour, c’est la fabrication d’une image. Une actrice « d’une forte personnalité » pour reprendre Sternberg, tout un travail de maquillage et d’habillage (on ne parle même pas ici des interventions chirurgicales telles qu’arracher les molaires pour creuser un visage ou l’ablation des côtes pour affiner la taille…) pour la personnaliser davantage, et un directeur de la photographie pour la diviniser, la rendre unique et inaccessible. Le service de communication du studio faisant le reste.
« L’une des caractéristiques – la principale – du glamour, disait encore von Sternberg, c’est qu’il promet quelque chose qu’il ne peut offrir ». Ou comment faire d’un être de chair une déesse de celluloïd.
Une opération alchimique réalisée par les directeurs de la photo. Le premier, Joseph Ruttenberg (Hantise, La Femme aux deux visages, Femmes) : Monsieur MGM. Il y a fait toute sa carrière et a mis au point ce que l’on a appelé le Soft Focus MGM : un éclairage doux qui capte l’ensemble du champ, quasiment valable pour toutes les stars de la firme. Alors qu’a contrario certaines stars travaillaient exclusivement avec un, leur, chef op attitré. Greta Garbo, par exemple, qui tout en étant salarié de la même MGM ne se laissait éclairer que par William Daniels (Ninotchka, La Reine Christine, Grand Hôtel, Mata Hari, La Courtisane…) qui la photographiait côté gauche dans la lumière et droit dans l’ombre. Ou encore Marlene Dietrich et Lee Garmes (Shanghai Express, Agent X27, Morocco…) qui laissait tomber la lumière sur son visage.
Cette programmation, nous l’avons bâtie autour de ces trois grands directeurs de la photographie. Elle met en lumière les deux plus grandes ambassadrices du glamour : Greta Garbo et Marlene Dietrich. Que l’on prenne plaisir à les retrouver toujours aussi inaccessibles. Que l’on n’oublie pas ceux qui sculptaient leur visage pour les rendre immortelles.
Franck Lubet
Bibliographie sélective :
MORIN Edgard, Les Stars. Paris : Éditions du Seuil, 1972.
cote : 26 MOR s
FARINELLI Gian Luca, PASSEK Jean-Loup (sous la dir. de),
Stars au féminin : naissance, apogée et décadence du star-system.
Paris : Centre Georges Pompidou, 2000.
cote : 26 FAR s
PEPPER Terence, KOBAL John, Clarence Sinclair Bull : photographe des stars
de la MGM. Munich : Schirmer-Mosel, 1989.
cote : 51BULL pep