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Explorations

Du mardi 10 novembre 2015
au samedi 28 novembre 2015


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Alors que le Muséum de Toulouse fête ses 150 ans avec notamment une grande exposition consacrée aux « savanturiers », il nous a semblé opportun de prolonger l’aventure en vous proposant une programmation autour de ce que l’on a appelé en son temps le cinéma au long cours, ou cinéma d’exploration. Un cinéma qui court principalement des années 1920 aux années 1950. Un cinéma aventureux qui nourrit autant l’imaginaire que l’esprit scientifique. Un cinéma d’un temps où l’homme finissait de découvrir des espaces vierges et des civilisations inconnues, tout en défiant la nature en bathyscaphe, en avion, ou en automobile – qui en étaient à leurs débuts. Un cinéma qui est avant tout une aventure humaine. Et une aventure qui est aussi celle du cinéma.

Au programme : expéditions en Antarctique – en traîneau avec le Capitaine Scott qui n’en reviendra pas (L’Éternel Silence, L’Aventure sans retour) ou en avion avec l’amiral Byrd qui en ramènera les premières images aériennes (Byrd au Pôle Sud). Voyage également à l’opposé, dans le Grand Nord, à la rencontre des Inuits mis en scène dans leur quotidien par l’ethnologue danois Knud Rasmussen (Les Noces de Palo). Expéditions encore dans les îles du Pacifique à la rencontre de tribus cannibales en compagnie d’Osa et Martin Johnson, les célèbres mariés de l’aventure des années 1920 et 1930, ou dans les années 1960 avec l’ethno-cinéaste Pierre-Dominique Gaisseau à l’occasion de la restauration de son mythique film Le Ciel et la Boue. Le continent américain ne sera pas en reste avec son lot de réducteurs de têtes ou à travers sa géographie, se frayant une route qui n’existe pas en automobile ; ni le continent africain, filmé au faîte de la colonisation comme un espace à conquérir (Brazza), ou a contrario comme de multiples et complexes cultures à découvrir (les films de Jean Rouch). Il ne manquera plus alors qu’à gravir les montagnes avec L’Enfer blanc du Piz Palü, sommet du film de montagne, traverser l’océan Pacifique en radeau primitif (L’Expédition du Kon-Tiki), voire passer sous les eaux des Bermudes avec les inventeurs de la batysphère (Les Titans de la mer), pour obtenir une vision globale du monde depuis ses recoins les plus reculés ou inaccessibles et à une époque où les moyens techniques étaient tout autre qu’aujourd’hui.

Et quelle est-elle cette vision, justement ? Une vision qui ne sera pas exhaustive d’abord. Une vision qui sera loin d’être totalement objective ensuite, parce que celle de l’homme occidental (pas de contrechamp), mais surtout parce que cinématographique. En effet, si le cinéma a permis de capturer des images rares, au cœur d’une expédition périlleuse ou/et d’un premier contact avec une culture radicalement différente de la nôtre, il pose également la question de leur mise en scène comme il interroge le spectateur quant à sa position de spectateur justement. Assiste-t-on à une leçon d’histoire et géographie, un exposé ethnographique, une épreuve humaine, ou simplement à un spectacle ? C’est là l’enjeu sous-jacent de cette programmation : la frontière poreuse entre l’enregistrement du réel et la recherche du sensationnel. C’est pourquoi, partant du cinéma muet, nous l’avons poussée jusqu’au mondo (Mondo Cane), ce genre sensationnaliste ambigu qui a fait florès dans les années 1960. Explorations : du document ethnographique pur au cinéma d’exploitation…

Nous verrons alors que si les aventuriers / scientifiques ont très tôt senti l’importance d’amener une caméra pour capturer sur le vif leurs aventures / découvertes, le cinéma leur a aussi très vite imposé ses règles : le choix des sujets et surtout l’ajout d’éléments de fiction afin d’accroître l’effet de réel et captiver son auditoire. Ainsi Les Noces de Palo, reconnu comme un document anthropologique exceptionnel, est-il construit sur une rivalité amoureuse fabriquée. De même avec Razaf le malgache. Ainsi Chez les coupeurs de têtes est-il une reconstruction sur la base d’une expédition de secours passée. Ainsi les époux Johnson se mettent-ils davantage en scène – jouant sur l’imagerie de l’aventurier à laquelle le spectateur occidental peut s’identifier – qu’ils ne valorisent les lieux, les populations et la faune qu’ils croisent au cours de leurs pérégrinations. Ainsi de l’amiral Byrd qui prend soin d’emmener avec lui des cameramen expérimentés pour filmer son expédition au Pôle Sud (certaines séquences ont alors été rejouées devant l’objectif). Voir encore Les Titans de la mer qui introduit carrément la caméra à son récit dans une bataille avec un requin ! Caméra embarquée. Effet de cinéma. Jusqu’au rigoureux et irréprochable Jean Rouch, finalement, avec son cinéma vérité – un genre à sa façon, cherchant l’effet de réel, dont Prosperi et Jacopetti s’inspireront largement et plus discutablement pour créer le mondo.

Au final, le cinéma impose ses artifices à ce qui devrait tenir du document filmé. Et pourtant, on a beau chercher à le débusquer, à le démystifier, on ne peut que rester fasciné devant les images qui s’offrent à notre regard. Parce qu’il est lui-même au cœur des aventures qu’il capture. Et qu’il nous embarque complètement avec lui dans son aventure. On pourra en faire l’expérience en comparant L’Éternel Silence filmé au moment même de l’expédition Scott et L’Aventure sans retour qui raconte la même histoire, mais sur le mode fiction tournée en studio. L’effet n’est définitivement pas le même. Et c’est cet effet-là que nous vous proposons de partager. Un dépaysement total ; géographique, culturel et temporel.

Franck Lubet, responsable de la programmation