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Danielle Darrieux

Du mardi 21 novembre 2017
au mercredi 13 décembre 2017


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C’est un hommage à ses cent ans que nous voulions rendre à Danielle Darrieux. Le cœur à la célébration. Dix films pour cent ans, comme des bougies que l’on souffle. Elle s’est éteinte ce 17 octobre et l’hommage prend un caractère de deuil. Il nous semble même déplacé, presque inconvenant. Toujours indispensable, mais différent. Et au moment d’écrire ces lignes, alors que la programmation était déjà bien arrêtée, on remarque davantage les films qui manqueront et que nous avions choisi d’écarter, parce que passés trop souvent ou récemment, parce que trop évidents (Les Demoiselles de Rochefort pour n’en citer qu’un, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme pour en citer un second).
C’est que nous étions alors dans l’esprit d’une rétrospective, plus que d’une nécrologie, préférant ponctuer les incontournables que sont Madame de…, Mayerling, La Vérité sur Bébé Donge, En haut des marches, de films plus méconnus et plus curieux tels que Battement de cœur, Port-Arthur ou Château de rêve au générique duquel on retrouve un certain Henri-Georges Clouzot ; préférant encore mettre davantage l’accent sur les années 1930 et 1950 où elle passe de personnages de jeunes filles impertinentes et frivoles à ceux de jeunes femmes plus graves et mélancoliques ; préférant enfin porter une attention toute en symbole à En haut des marches pour ses rôles de « mère » et au Jour des rois, son centième film à soixante-quatorze ans, pour ses rôles de troisième âge.
Et c’est finalement bien ainsi. Parce que Danielle Darrieux, c’est plus de cent films sur une carrière de près de quatre-vingts ans, de 1931 où elle débute à l’âge de 14 ans dans Le Bal de Wilhelm Thiele, à 2010, son dernier rôle dans Pièce montée de Denys Granier-Deferre. Une grosse carrière dont il est difficile de rendre totalement, exhaustivement, compte. Une carrière jalonnée de très grands films, et de moins bons, forcément. Mais une carrière, surtout, qui dessine à la fois la vie d’une femme et traverse tout un pan de l’histoire du cinéma français.
De la vie d’une femme, du fait de sa précocité et de sa longévité, tournant toujours quel que soit son âge, nous verrons les étapes : de la jeune fille de dix-sept ans dans le Mauvaise graine (1934) de Billy Wilder, de la femme, jeune puis mûre, de Battement de cœur (1940) de Decoin à Marie-Octobre (1959) de Duvivier, en passant par Madame de… (1953) d’Ophüls, à la personne âgée d’_En haut des marches_ (1983) de Vecchiali et du Jour des rois (1991) de Marie-Claude Treilhou. Une vie de femme, aussi, à travers les morceaux de vie de personnages. Une vie de plusieurs vies. Complice d’un gang de voleurs de voitures (Mauvaise graine_), paysanne rêveuse aveuglée par les lumières de la ville (Retour à l’aube_), pickpocket (Battement de cœur_), bourgeoise énamourée (Le Rouge et le Noir_), aristocrate frivole (Madame de…_), maîtresse d’un archiduc (Mayerling_), épouse bafouée et meurtrière (La Vérité sur Bébé Donge)… Ou encore, dans un curieux effet miroir, animée par un désir de vengeance, compagne d’un résistant trahi par les siens (Marie-Octobre) et veuve d’un collabo dénoncé et exécuté à la Libération (En haut des marches) – sachant qu’elle fut elle-même inquiétée pour avoir tourné pour la Continental et avoir été du voyage à Berlin en 1942 avec la délégation du cinéma français. Une vie de femmes. Une femme de vies, de la pétulance à la nostalgie.
Quant au cinéma à proprement parler, c’est toute une histoire qui se referme avec sa disparition. Parce qu’elle en était l’incarnation vivante, éclat de ses différentes facettes. Une véritable histoire vivante du cinéma français. Débutant avec l’arrivée du parlant et sa vague de films chantés – « toujours la même recette, disait-elle : une crise de nerfs, quatre gags, trois sanglots, quelques couplets et un baiser en gros plan juste avant le mot Fin ». Imposant un jeu résolument moderne – à la Katharine Hepburn – avec Decoin, son premier mari, avec qui elle tournera une dizaine de films. « Darrieux, c’est du champagne ! », disait-on alors. Mariant moderne et classique sous la direction de Max Ophüls, le cinéaste français le plus important des années 1950. Et pourtant affiliée, dans le même temps, au cinéma de « qualité française » honni par les « jeunes turcs ». Et enfin, égérie de nouvelles générations de cinéastes, de Demy bien sûr à Ozon, en passant par Téchiné, mais surtout par Paul Vecchiali qui aime toujours à rappeler que son envie de faire du cinéma est née avec la vision de Darrieux dans Mayerling. Ceci pour dire qu’à la fois icône et muse, elle a connu et a participé à l’évolution du cinéma français depuis les années 1930, jusqu’à devenir au fil des ans un vecteur de cinéma. Plus seulement une figure du cinéma français, mais une source de cinéma. Plus seulement une actrice de cinéma, mais un désir de cinéma.
C’est cette idée que nous voulions véhiculer avec cet hommage. Et c’est cette idée que nous défendrons malgré les circonstances. L’idée qu’avec Danielle Darrieux, c’est un désir de cinéma qui se joue sous nos yeux et qui nous envahit. Un désir qui restera immortel.

Franck Lubet, responsable de la programmation

Ne manquez pas également l’exposition consacrée à Danielle Darrieux présentée du 31 octobre 2017 au 7 janvier 2018 dans le hall de la Cinémathèque.

Bibliographie sélective sur Danielle Darrieux