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WESTERN SPAGHETTI

Du mardi 19 février 2019
au mercredi 20 mars 2019


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Un type en poncho qui débarque à dos de mulet, avant de s’arrêter à un puits, à l’entrée d’un village, pour se désaltérer pendant qu’un gamin se fait rosser par de patibulaires gaillards sous ses yeux plissés et une musique d’un nouveau souffle. C’était en 1964 et un homme sans nom écrivait pour une poignée de lires une nouvelle page d’un genre aussi vieux que le cinéma. Un western italien inspiré d’un film de sabre japonais (Yojimbo de Kurosawa). La même année, ironie de l’Histoire, Anthony Mann, maître du western américain classique, signait le déclin de Hollywood avec un péplum, genre éminemment italien : La Chute de l’Empire romain. Ainsi naissait le western spaghetti, quand s’écrasait l’industrie américaine avec ce que Sergio Leone appellerait le hamburger romain (pour qualifier le péplum américain en écho au sobriquet culinaire donné au western italien : voir document INA). Une passation de pouvoir. Économique et esthétique.
Genre endémique du cinéma américain, le western connaissait déjà sa version européenne : dès le muet, en Camargue avec les films de Joë Hamman et Jean Durand, ou dans le début de ces mêmes années 1960, en Yougoslavie, avec les Winnetou ouest-allemands et même déjà en Italie. Mais l’on restait dans la copie du modèle américain. Jusqu’à donc Pour une poignée de dollars, qui devait définitivement briser les codes et ouvrir la voie à un nouveau genre. Car il s’agit bien d’un nouveau genre, plus que d’un renouveau du genre, comme le giallo avec le polar. Django, deux ans plus tard, tirant son cercueil dans la boue, finira d’en enfoncer le clou. Un genre qui allait triompher dans les salles populaires pendant une quinzaine d’années. Avec ses chefs-d’œuvre et leurs imitations, son heure de gloire et sa décadence. Avec ses maîtres : les trois Sergio – Leone, Corbucci et Sollima. Et ses stars : Franco Nero, Clint Eastwood, Tomas Milian, Gian Maria Volontè, Lee Van Cleef, Terence Hill… Un véritable genre, car industrialisé (des centaines de productions jusqu’à 80 à 90 par an, trois ou quatre films tournés en même temps dans les mêmes décors, à Almería dans le sud de l’Espagne ou dans la banlieue romaine) et exploité jusqu’à épuisement du filon. Un véritable genre parce qu’une révolution esthétique et éthique. Violent. Sale. Sardonique. Sadique. Amoral. L’Ouest italien est sauvage, sans foi ni loi, et ses héros, mal polis et mal rasés, modelés dans le sang et la poussière, sont devenus des anti-héros. On pourrait dire qu’alors le western entrait dans l’âge adulte. Crépusculaire dans le cinéma américain, il retrouvait ici, plus justement, une adolescence dont il avait été privé : un esprit de rébellion exacerbé par un je-m’en-foutisme affiché et la jouissance des premières fois. On a pu le dire aussi plus réaliste parce que malpropre. Il est pourtant, dans sa forme, dans son écriture, plus théâtral. Entre opéra et commedia dell’arte, voire grand-guignol. Il est aussi plus graphique et chorégraphique. Esthétisant, au-delà de Sergio Leone, même quand il flirte avec le gore. Lyrique avec ses bandes originales hallucinées, composées par Ennio Morricone bien sûr, mais aussi par Bruno Nicolai, Ortolani, Bacalov… Il pousse le grotesque au sublime et vice versa. Exubérant, il a surtout inventé une nouvelle mythologie qui a complètement corrompu le mythe américain et sa représentation ; se réappropriant les codes pour dynamiter le discours de l’intérieur. « N’achète pas du pain », hurlera El Chuncho au gamin des rues à qui il a donné l’argent de la trahison, « Achète de la dynamite ». Subversif, le western italien a non seulement détourné les codes du genre inventés par le cinéma américain, mais comme pour mieux y glisser un message anti-états-uniens. Colorado, El Chuncho, Compañeros… Les années 1960 et 1970 sont des décennies politiquement agitées et si le poliziesco (le polar italien) rendait compte de l’agitation intérieure (les années de plomb), le western reflétait quant à lui les agitations politiques extérieures, à commencer par l’ingérence des États-Unis sur le continent américain. Politique, oui, mais attention, jamais didactique et surtout pas idéologique. Politique, mais pragmatiquement politique. Ainsi, quand dans El mercenario, Franco Nero donne à Tony Musante une définition de la révolution en s’appuyant sur une nudité féminine, expliquant que la tête c’est les riches et les fesses les pauvres, et que la révolution serait de réunir la tête et le cul (impossible parce qu’au milieu il y a le dos), ce dernier lui répondra préférer dans ces conditions rester pauvre. Pragmatique, comme la sentence de celui qui a un pistolet chargé et de celui qui creuse, ou dans le même film, le conseil de Tuco que l’on s’empressera de prendre à la lettre : « When you have to shoot, shoot, don’t talk ». Et il est temps de laisser parler la poudre.
Nous dédions avant cela ce cycle à Claude Ledu, ami disparu il y a dix ans, amoureux de cinéma populaire et bien entendu du western italien dont il était spécialiste, partageant son savoir (Claude entretenait des correspondances avec les cinéastes, acteurs et techniciens italiens) et sa passion tant sur les ondes que dans les pages de fanzines.

Franck Lubet, responsable de la programmation

En collaboration avec l’Istituto Italiano di Cultura de Marseille et en partenariat avec France 3 Occitanie, Radici, Radio Radio et Bullitt.

Bibliographie sélective