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Dring ! Dring !

Du samedi 01 juin 2019
au dimanche 30 juin 2019


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Un cycle sur le téléphone, non mais allô quoi. La Cinémathèque aurait-elle sauté du standard ?… Pas totalement encore. Le cinéma fait régulièrement l’objet d’analyses par la bande, l’analyse d’objets justement, ou d’éléments naturels, qu’il a fini par transfigurer. Ce que savamment on appellerait cinégénie. La pluie, les ombres, les miroirs… L’excellente maison d’édition Yellow Now a même ouvert une petite collection dirigée par Dominique Païni qui explore scientifiquement ce champ de réflexion. Collection dans laquelle nous trouverons une étude sur… le téléphone au cinéma : L’Attrait du téléphone d’Emmanuelle André et Dork Zabunyan. Cela pour dire combien le sujet est sérieux sous ses airs débonnaires. Sérieux et obsessionnel. Quand on commence à y penser, on ne décroche plus et on voit des téléphones partout, dans tous les films. Des roses (Girl 6_), des blancs (appellation d’un genre italien de la fin des années 1930), des rouges (_Docteur Folamour)… On en voit chez Spike Lee, cycle voisin de celui-ci, de Girl 6, donc, à BlacKkKlansman, où l’accessoire est plus qu’un appareil, en passant par les bippers qui ont marqué les années 1990 (voir Clockers_) et le film de braquage avec prise d’otages (_Inside Man) où la liaison téléphonique entre braqueur et négociateur est un passage obligé du genre. On en voit encore à côté, un noir, avec Ascenseur pour l’échafaud_, présenté en film du jeudi, pour une ouverture mémorable. Et l’on verra aussi qu’il manquera quelques films importants, faute de copies disponibles ou de moyens, les opérateurs téléphoniques auxquels nous avons demandé un soutien étant restés aux abonnés absents. Mais l’essentiel du bottin sera bien là, dessinant d’abord, dans ce qui pourrait être une approche sociologique, une histoire du téléphone et de ses évolutions technologiques, du standard (Allô Berlin ? Ici Paris_), comme voie de rapprochement, au smartphone (Ceci n’est pas un film), comme voix d’évasion ; révélant surtout un accessoire devenu un véritable élément de mise en scène. Ou comment le cinéma s’en empare pour en faire le pivot du récit. Pivot, parce qu’au-delà de son usage comme moyen de communication, rapprochant, ou plutôt reliant tout en les séparant, des individus (Allô Berlin ? Ici Paris, Confidences sur l’oreiller, Denise au téléphone_…), il est aussi, cinématographiquement, un point d’ancrage spatial et temporel, imposant un espace fixe et déterminant au récit et aux personnages, soit pour les y assigner (_La Dame du vendredi, Le Crime était presque parfait_…), soit pour les inscrire dans un mouvement (_Une journée en enfer, Matrix_…). Et comment le récit a pu se déplacer avec son évolution technologique : de l’innocent jeu de hasard qui dérape (Tuer n’est pas jouer_) à l’effrayant hasard de la mort qui frappe (La Mort au bout du fil). Avec, fatalement, un avant et un après téléphone mobile. Le Crime était presque parfait n’étant plus possible avec le portable, il faudra confiner le personnage pour glisser le suspense sur la durée, celle de la batterie du téléphone (Buried_). Avec le téléphone fixe, c’est le « où » qui déterminait l’action. Avec le portable, c’est le « quand ». Et à y regarder de la sorte, on finit par se demander si c’est le cinéma qui a transfiguré le téléphone, ou le téléphone qui a transfiguré le cinéma. Le split screen semblant avoir été inventé pour lui (_Confidences sur l’oreiller), voire par lui (se rappeler Suspense de Loïs Weber), partageant l’écran, jusqu’à devenir écran dans l’écran (Personal Shopper_), si ce n’est caméra (_Ceci n’est pas un film). Le téléphone : à la fois signe et signal, entre terrain de cache-cache et facteur révélateur. Ne coupez pas, le cinéma est à l’autre bout du film.

Franck Lubet, responsable de la programmation