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Arthur Penn

Du mardi 15 octobre 2019
au mercredi 06 novembre 2019


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Arthur Penn est-il un auteur ? C’est peut-être le genre de question que l’on ne se pose plus vraiment. Une question dépassée quand l’obsession de définir et de hiérarchiser des valeurs n’est plus dans l’air du temps et que prévaut l’idée que finalement tout se vaut plus ou moins. Marcher au film plutôt qu’à l’œuvre. Juger au film, dans un plaisir immédiat, ou pas, plutôt qu’essayer de définir une cohérence, avec des hauts et des bas, dans une œuvre. Une certaine tendance à faire son marché parmi des produits identifiés que l’on réévaluera en fonction de leur degré d’usure au temps. Une appétence pour des films désignés comme cultes, des films qu’il faut avoir vus, et souvent à raison d’incontournables chefs-d’œuvre, qui est aussi un régime menaçant de pousser une œuvre dans l’oubli. Balzac serait-il Balzac sur la seule foi du Père Goriot ? La question se pose avec Arthur Penn. Elle se pose même autrement : qui dans la rue saurait citer un film de Penn ? Alors que dans la même rue tout le monde aura au moins entendu parler de Little Big Man. Oui, le western avec Dustin Hoffman. Arthur Penn serait-il l’homme de deux ou trois films et puis plus rien ? Deux, trois films dont tout le monde connaîtrait les titres mais, contrairement à Balzac, aurait oublié le nom de leur auteur. C’est justement là qu’il devient intéressant. Parce que son œuvre questionne le statut d’œuvre et les notions d’auteur. Parce qu’elle met à l’épreuve la désormais amendée, simplifiée, détournée, décriée et brouillée politique des auteurs. Parce que depuis que Louis Delluc, à la fin des années 1910, a mis sur le métier cette notion d’auteur, nous y revenons sans cesse, redéployant tel Sisyphe les modalités de sa définition ou de sa réfutation, l’accommodant à notre propre subjectivité. Cherchant une paternité impossible, un film, contrairement à un roman, étant le résultat d’une somme de talents réunis, et paradoxalement irréfutable, une filmographie portant irrémédiablement les gênes d’une sensibilité, une griffe, qui donnera corps à l’ensemble et fera œuvre. Auteur (?), versant hitchcoco-hawksien pour ce qui nous intéresse ici, c’est-à-dire au sein d’une industrie hollywoodienne basée sur la répartition et le cloisonnement des tâches rendant inextricable la désignation d’auteur. D’ailleurs, dans le passionnant entretien qu’il accorde à Robin Wood en 1969, Arthur Penn lui-même ne se considère pas comme auteur, distinguant le film classique hollywoodien (Bonnie et Clyde, La Poursuite impitoyable, Little Big Man…) qu’il définit par un manque de contrôle, un manque de mobilité, et une propension à l’anonymat due à la multitude de personnes travaillant sur le film, du film qu’il qualifie d’auteur parce qu’il en a le contrôle total et une liberté créatrice gagnée par la mobilité d’une équipe réduite et la maîtrise du montage (Alice’s Restaurant, Mickey One ou Miracle en Alabama, pièce qu’il avait préalablement portée au petit écran et mise en scène au théâtre). Penn aborde sa filmographie au film et non pas comme une œuvre. Ce qui se comprend. Les studios lui interdirent de monter Le Gaucher et La Poursuite impitoyable qu’il renia (un film de Hollywood plus que de Penn, dira-t-il), le scénario de Bonnie et Clyde avait été proposé à Truffaut, puis Godard avant lui… et effectivement, entre Mickey One ou Miracle en Alabama (formellement très inspirés du cinéma européen) et La Poursuite impitoyable ou Little Big Man (formellement très classique hollywoodien), comme s’ils étaient le fruit de deux réalisateurs différents, il est difficile de poser un style Penn comme on pourrait le faire pour Welles. Et pourtant, c’est bien à une œuvre que nous avons à faire. Une œuvre personnelle qui marque à la fois le glissement du Hollywood classique vers le Nouvel Hollywood et est marquée par les soubresauts socio-politiques que connaissent les États-Unis durant les années 1960-1970. Pas un style homogène, mais des thématiques récurrentes. Une jeunesse révoltée en proie à un ordre établi, des personnages à la sexualité dérangée, mais surtout la question de l’identité. « La crise d’identité et qu’est-ce que je fais pour être loyal envers l’identité que j’ai choisie », disait Penn pour définir le sujet du Gaucher. Façonner des légendes (Le Gaucher et Bonnie et Clyde), donner une identité à une personne coupée du monde (Miracle en Alabama), prendre une autre identité pour échapper à une société (Mickey One), être pris entre deux cultures (Little Big Man), ou spolié de son identité (Froid comme la mort), être américain (Georgia)… Être américain ? C’est aussi la crise d’identité que rencontrent les États-Unis dans les années 1960 et que le cinéma de Penn saisit comme un électro-cinémato-gramme du pays : le maccarthysme et la paranoïa (Mickey One), le Vietnam et le massacre de My Lay (Little Big Man), l’assassinat d’Oswald (La Poursuite impitoyable), celui de Kennedy (Georgia) dont il fut le conseiller audiovisuel, le Watergate et la conspiration (La Fugue)… Le cinéma et les USA : « comme dans un miroir confusément » (verset cité dans Le Gaucher comme une profession de foi). Une ligne force mais pas une écriture propre ? Encore que. Le travail avec les acteurs est fondamental de son cinéma et venant du théâtre new-yorkais et de l’Actors Studio, on pourrait définir son approche de la mise en scène comme un trait d’union entre Kazan et Hawks. Et puis, pourquoi pas, une écriture plus souterraine qu’une surface visiblement auteurisante, plus insidieuse et intuitive ? Un autre trait d’union : le passage formel du vieil au nouvel Hollywood. La scène du passage à tabac de Brando dans La Poursuite impitoyable a été jouée au ralenti, puis l’image accélérée pour donner plus d’impact à la violence des coups. Un an après, dans Bonnie et Clyde, dans le même but, le final est extrêmement monté alternant prises de vues à vitesse normale et ralentie (ce qui deviendra une marque de fabrique de Peckinpah). Comme un signe, par le tempo, que les temps sont en train de changer. De quoi en faire un auteur ? À vous de voir, au film et à l’œuvre. Ou comme il sera dit à la fin de Georgia : « Un jour, on repensera peut-être à tout ça, et on aura tout oublié ».

Franck Lubet, responsable de la programmation

En partenariat avec le Festival La Rochelle Cinéma