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Hammer / reporté

Du mardi 17 novembre 2020
au samedi 19 décembre 2020


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Reporté

 


Avez-vous revu récemment un film de la Hammer ? Non, la question serait plutôt : avez-vous ressenti récemment ce plaisir d’être face au grand écran encore blanc, confortablement assis dans votre fauteuil ; ce moment fugace où, discutant encore si l’on est accompagné.e voire en bande, ou terminant de faire le vide dans son esprit si l’on est seul.e, on sent monter une forme d’excitation pendant que les lumières s’estompent et que s’imprime, que dis-je, s’exprime sur l’écran le logo familier d’un studio dont on sait qu’il va nous ravir ? Ce moment qui rappelle les premières fois de jeunesse, ces premiers émois de spectateur, quand le seul fait d’être dans une salle de cinéma était déjà une fête, vous le revivrez en revoyant sur grand écran un film de la Hammer. Ce moment ravivant une émotion enfouie, comme de croquer dans une madeleine ou, quand souffle au dehors la tempête, de boire un chocolat chaud. C’est dans l’effroi que la Hammer a bâti sa réputation. Et c’est pourtant la chaleur d’une atmosphère surannée et rassurante qui nous enveloppe dans ses brumes de studio, datée et cependant intemporelle comme un bon souvenir. Souvenirs de famille. Souvenirs d’enfance, quand, après le repas de famille, avec les cousins et les cousines nous faisions semblant de jouer à côté des adultes pour mieux écouter leurs conversations, surtout les histoires incroyables de l’oncle que les parents qualifiaient d’original, qui allaient nourrir notre imaginaire morbide la nuit durant. C’est cela revoir un film de la Hammer aujourd’hui. Retrouver une famille à travers un Technicolor dont émane un inquiétant fabuleux jusque-là retenu dans les autochromes.
Fondée par William Hinds, bijoutier et acteur, rapidement rejoint par un émigré espagnol, Enrique Carreras, exploitant de salles, la Hammer voit le jour sous une première forme dans les années 1930, produisant comédies et petits polars de premières parties mais se consacrant principalement à la distribution. C’est sous sa deuxième forme, et à partir des années 1950, reprise par les fils de ses fondateurs, Michael Carreras (qui réalisera aussi plusieurs films au sein de la maison) et Anthony Hinds (qui en signera, lui, de nombreux scénarios sous le pseudonyme de John Elder), que la firme va marquer l’histoire du cinéma britannique et bouleverser le cinéma de genre au niveau international. C’est celle-là que l’on connaît et reconnaît : la Hammer Film Productions, dont on situe l’âge d’or du milieu des années 1950 au milieu des années 1970 ; disons un peu rapidement de Quatermass, premier succès commercial d’ampleur, à La Légende des sept vampires d’or, coproduction hallucinante avec la Shaw Brothers enfonçant le clou, si ce n’est le pieux, d’une décadence irréversible en mettant le film de vampires sous la perfusion de celui de kung-fu (Bruce Lee cassait alors la baraque quand Dracula perdait de son mordant).
Défrayant la chronique, ou plutôt les chroniques de la critique, en une vingtaine d’années la Hammer aura redonné des couleurs au cinéma populaire, à commencer par donner son rouge au sang du cinéma d’horreur. C’est Quatermass qui met le studio sur orbite. C’est Frankenstein qui lui permet de s’échapper. Et c’est Dracula qui finit d’assoiffer le public. La Hammer, c’est d’abord la reprise des standards gothiques de la littérature anglo-saxonne, une relecture, pour ne pas dire une réappropriation, de ces figures universalisées par la Universal des années 1930, en y ajoutant une pincée de violence et surtout un soupçon d’érotisme que l’on pourra mesurer à la taille des décolletés, plongeant d’autant que s’amenuise l’intérêt du public pour comtes sadiques et barrons fous ressuscités. Et l’on passera d’une facture très classique à des productions de plus en plus pop, n’hésitant pas à plonger le gothique dans le swinging London quand les besoins de la production se feront sentir. Car c’est bien une frise du cinéma d’exploitation que déroule rétrospectivement l’exemple de la Hammer, usant jusqu’à la corde, jusqu’à ce que le public s’en lasse, les figures dont elle a fait des mythes, comme la Universal avant elle avec ses monstres, comme Marvel avec ses super-héros aujourd’hui.
La Hammer a aussi produit des thrillers, que l’on pourra découvrir ici – et des films de guerre, que nous n’avons pas réussi à trouver – pour vous donner un éventail, si ce n’est exhaustif, le plus large possible de ses productions. Mais soyons honnêtes, c’est son bestiaire fantastico-horrifique qui nous est le plus familier et que l’on a envie de retrouver. Un bestiaire inventé et servi par une famille de cinéma que l’on retrouve de film en film donnant à l’ensemble de la production cette esthétique si singulière et cohérente : le scénariste Jimmy Sangster, le compositeur James Bernard, le décorateur Bernard Robinson, le directeur de la photo Jack Asher, les cinéastes Val Guest, John Gilling, Roy Ward Baker et bien sûr Terence Fisher, pour n’en citer que quelques-uns. Sans oublier Christopher Lee et Peter Cushing, les deux stars de la maison devenues aussi cultes que les mythes qu’ils ont interprétés et que l’on a hâte de revoir comme cet oncle que l’on qualifiait d’original et qui égayait de ses histoires rocambolesques les lourds repas de famille de notre enfance. Bonnes retrouvailles.

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse

En partenariat avec Tamasa, le Festival La Rochelle Cinéma et la Bibliothèque de Toulouse

En partenariat avec Culturopoing et La Septième Obsession