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Scope

Du vendredi 21 mai 2021
au dimanche 04 juillet 2021


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Nous y voilà. Nous revoilà. Mais il n’y a plus de saison comme dit le célèbre adage. Il ne pouvait plus y avoir de saison. Reprendre comme si de rien n’était sur la ligne établie eut été incongru quand la saison s’est arrêtée après avoir tout juste débuté. Nous l’avions senti dès le mois de février et décidé alors d’imaginer une programmation plus en phase avec une reprise. Une programmation qui marque ce retour et satisfasse un désir élémentaire de cinéma dont on a trop été sevré : en prendre plein la vue et les oreilles. Ce sera donc une programmation consacrée aux formats larges – CinemaScope, VistaVision, Panavision, Totalscope, Grandscope, Sovscope et autre Franscope… Format 2,35 pour le dire largement et ne pas entrer dans les détails et spécificités de chaque procédé.

Une programmation symbolique qui s’attache plus au format qu’à un sujet, un courant, ou une esthétique (même si fondamentalement, sujets ou genres, et formes, sont liés au format). Programmation symbolique qui convoque l’exceptionnelle taille du cadre pour revendiquer doublement celle du grand écran ; qui la réclame pour assouvir pleinement un désir de cinéma que les écrans domestiques n’ont pu palier qu’imparfaitement. Du large. Du spectaculaire. Du bigger than life. Non seulement nous sommes heureux de retrouver notre grand écran, mais encore nous voulons élargir le cadre comme on ouvre une fenêtre pour prendre de l’air.

Symbolique encore, quand la crainte d’une nouvelle crise du cinéma a fini par s’installer chez les professionnels de la profession – du modèle de production du cinéma français à l’exploitation en salles plus généralement – face à l’accélération de nouveaux usages via les plateformes favorisés par ces mois de confinement. Une possible crise dont on entendra peut-être parler dans les mois qui viennent, ou pas, en fonction de la position qu’adopteront les majors américaines et surtout de la fréquentation des salles. Cette crise endémique dont parlaient les deux Serge, Daney et Toubiana, dans les années 1980, « par laquelle le cinéma depuis toujours se refait, comme une machine qui ne fonctionne que parce qu’elle est détraquée ».

Ainsi les formats larges – le CinemaScope en tête, adapté par la 20th Century Fox de l’Hypergonar (objectif anamorphoseur) inventé par Henri Chrétien à la fin des années 1920 – ont été développés dans les années 1950 (La Tunique, le premier film en CinemaScope sort en 1953) pour répondre à une menace qui ébranlait alors l’hégémonie des salles de cinéma : la télévision. Vous vous souvenez du raz de marée de la 3D dans la production de la fin des années 2000 ? Imaginez que c’était pour ramener du spectaculaire, et donc le public, dans les salles concurrencées par l’explosion du marché du DVD et le téléchargement illégal. Et bien le CinemaScope, c’est la même chose dans les années 1950, face à la télévision qui retenait les spectateurs dans leurs foyers. Ne jamais oublier que si le cinéma est un art, il a grandi parmi les attractions foraines.

Le Scope est le format du hors norme. Écran plus grand, durée démesurée, productions monumentales. Il est le format des superproductions. Péplums, westerns, comédies musicales, grands sujets et épopées. Jusqu’au trop plein. Il est aussi un espace de jeu et de réflexion sur la notion de cadre et son statut. Sa composition. Utilisation du split screen, comme pour redécouper ce cadre trop grand, dans Confidences sur l’oreiller, séparer pour rapprocher. Cadres dans le cadre dans le magistral Lola Montès_, marquant la séparation de ce qui semble uni. Cadre métaphysique dans le huis clos d’une station spatiale (Solaris_). Verticalité du seppuku saisie dans son horizontalité (Harakiri). Jusqu’au documentaire, genre exceptionnel en Scope, avec le magnifique Le Cousin Jules qui s’empare de ce format habituellement destiné aux grosses productions de prestige, comme Courbet avait scandaleusement détourné le format panoramique réservé aux grandes scènes historiques en peignant Un enterrement à Ornans.

Ou, pour le dire autrement, après des mois de flottement et d’enfermement, il nous fallait pour repartir poser un cadre. Pas pour s’imposer de nouvelles œillères. Mais pour essayer d’y voir plus grand. C’est cela aussi le cinéma. C’est peut-être cela avant tout.

Franck Lubet, responsable de la programmation