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Jean-Denis Bonan

Du mercredi 09 février 2022
au samedi 12 février 2022


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Poétique du politique

C’était en mai 2018. Pour le cinquantenaire de Mai 68, nous avions monté une programmation réunissant cinéma militant et films du groupe Zanzibar, avec l’idée que le cinéma militant inventait une esthétique par ses questions éthiques pendant que Zanzibar imposait une éthique par sa volonté esthétique. Nous avions alors invité Jean-Denis Bonan pour nous raconter l’aventure du groupe Cinélutte, groupe de cinéastes militants qu’il avait créé avec Mireille Abramovici en 1973, dans la suite logique d’un autre collectif qu’ils avaient déjà tous les deux monté en 1967 : l’ARC, pour Atelier de Recherche Cinématographique.

Jean-Denis n’avait pas pu venir, empêché au dernier moment. Mais rendez-vous avait été pris pour aller plus loin dans sa propre production. Car si nous connaissions déjà Jean-Denis Bonan à travers l’histoire de Cinélutte, dont les films ont une place importante dans les collections de la Cinémathèque, on le connaissait aussi par le prisme d’Extrême Cinéma avec Tristesse des anthropophages (son premier court métrage professionnel censuré pendant près de cinquante ans) et La Femme bourreau (resté dans les tiroirs pendant autant de temps avant que Luna Park ne lui permette de le finir et de le sortir en 2015) que nous avions présentés pendant le festival. La Femme bourreau, tourné pendant les événements de 68, coproduit par Anatole Dauman, le producteur de la Nouvelle Vague, est un film étonnamment singulier, une sorte de giallo tourné en mode cinema-vérité, qui aurait toute sa place sur les étagères du cinéma de la transgression cher à Nick Zedd et Richard Kern. Un film pendant le tournage duquel il réalisait avec le groupe ARC un documentaire, à chaud, sur Mai 68 : Le Bel Émoi de mai.

Ajoutez à cela un autre film, tourné en 1967 avec l’ARC encore, dans le cadre d’un projet écrit et réalisé avec les patients et le personnel de la clinique de la Borde (L’École des fous – une parabole imaginée et jouée par des « aliénés » sur la peur sociétale et le rejet de l’étranger, interrogeant la bonne santé mentale de nos sociétés et de leurs mécaniques politiques…), et vous commencerez à avoir une petite idée de qui peut bien être Jean-Denis Bonan. Parce que ce n’est pas dans les histoires du cinéma que vous le trouverez. Et pour cause. Censuré artistiquement, engagé politiquement, ou/et l’inverse, cet autodidacte, qui a appris le métier en travaillant dans les laboratoires Éclair et comme monteur aux Actualités Françaises, a passé les années 1980 et 1990 à travailler pour la télévision, réalisant des films alliant toujours sujets de société (la psychiatrie est un thème récurrent) et recherches formelles, avant de reprendre dans le courant des années 2000 son activité de cinéaste maquisard. Maquisard, parce que si le cinéma officiel le tient à l’écart, à 80 ans Jean-Denis Bonan continue de produire des films, reprenant et terminant d’anciens projets, en développant de nouveaux. Une œuvre entre luttes, politiques et poétiques, d’où se dégage un besoin de mémoire, de garder traces. Et rien de tel qu’une rétrospective pour faire acte de mémoire.

Cette rétrospective, elle a été construite par Jean-Denis Bonan lui-même. Il en a choisi les films parmi tous ceux qu’il a faits, ainsi que leur agencement, comme un artiste (il est aussi plasticien) supervise une exposition de ses œuvres, comme un poète (il écrit également) fait une sélection dans ses textes pour éditer un recueil. Et il l’accompagnera, avec sa famille : Francis Lecomte, producteur et distributeur de ses films avec Luna Park, le chanteur Daniel Laloux, compagnon de route du groupe Gong, qui poussera la chansonnette pour l’occasion et Domi Bergougnoux, poétesse, qui lira quelques-uns de ses poèmes entre deux films. Rendez-vous avait été pris. Rendez-vous vous est donné.

Franck Lubet, responsable de la programmation