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Dominique Cabrera un regard à l’écoute

Du mercredi 19 octobre 2022
au dimanche 27 novembre 2022


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Le cinéma est-il politique ? Peut-il l’être ? Et qu’est-ce que serait un cinéma politique ? Tentative de réponses avec Dominique Cabrera, cinéaste française dont le parcours cinématographique propose une politique de cinéma ouvrant à un cinéma citoyen. Une manière de vivre (avec) le cinéma. Une manière d’écouter la société en la regardant dans ses faits et gestes. Où le film cherche à saisir un liant social, sociétal. En quête de vie. Enquête d’un quotidien populaire.

Dominique Cabrera est une cinéaste plurielle. Documentaires, fictions, journaux filmés, elle est cinéaste multiple. Et la tendance serait à cloisonner ses activités cinématographiques, à la dissocier selon ses pratiques. Cette rétrospective, au contraire, montrera l’unicité de sa pratique. Celle du regard, quelle que soit la forme qu’il emprunte.

Le premier regard est frontal. Celui qui fait front. Celui qui est à côté, aux côtés. Celui du documentaire. Les premiers films de Dominique Cabrera interrogent l’habitat, les immeubles, les tours, les barres HLM, par celles et ceux qui les habitent. Entre l’idéal de ces constructions modernes, l’utopie des nouvelles villes, et leur destruction. L’urbanisme est politique, comme la Géographie et l’Histoire. Mais Dominique Cabrera ne filme pas seulement un cadre. Elle enregistre la parole de ceux qui y vivent, ou y ont vécu. Elle fait Histoire en recueillant les histoires de classes populaires. Le regard est sûr. À l’écoute, il cherche comment on habite le monde. Ici ou là-bas. Quand on est déraciné. Ou enraciné.

À la question d’habiter dans le monde,
le cinéma de Dominique Cabrera
répond par cohabiter le monde.

Dominique Cabrera est d’origine pied-noir, française d’Algérie. De deux mondes. Entre deux histoires. Au milieu de deux rives. Et ce regard qui est aux côtés est aussi des deux côtés. Ou, comme dans Une poste à La Courneuve la caméra passe des deux côtés du mur transparent que forme l’hygiaphone, le regard se doit aussi de passer de derrière à devant la caméra. Regard introspectif du journal filmé (Demain et encore demain, Grandir). Habiter le monde, c’est aussi s’écouter soi. Se regarder, se filmer, pour s’y inclure. Acte d’humilité. Franchir ce mur, ou le tomber, parce que le regardeur se doit aussi d’être regardé. De se regarder. C’est le regard du doute.

Et puis il faut douter du regard, le remettre en question. C’est la fonction de la fiction. L’Autre Côté de la mer est l’histoire d’un type qui doit se faire opérer des yeux, retrouver la vue en quelque sorte. Folle embellie, c’est une France occupée vide, vue par des fous. Le Lait de la tendresse humaine, l’histoire d’une femme qui refuse de voir, qui prend la fuite plutôt que d’ouvrir une porte. Nadia et les hippopotames est un film de nuit.

Mais, comme Corniche Kennedy met en scène la rencontre entre un jeune de banlieue et une petite bourgeoise, comme L’Autre Côté de la mer voit le rapprochement d’un pied-noir resté en Algérie et d’un Français d’origine algérienne, la fiction chez Cabrera est un espace de possibles, où des contraires peuvent se rencontrer et pourquoi pas se rejoindre. Plus que dans ses documentaires qui saisissent la frontière – géographique ou/et temporelle – et marquent un de part et d’autre, la fiction est peut-être l’espace d’une réconciliation possible, qui commence par filmer les acteurs à César de la même manière que les inconnus de banlieues : dans le détail, dans les gestes quotidiens. Le politique chez Cabrera est dans le détail. Et c’est finalement la fiction qui nous le rappelle.

Le cinéma de Dominique Cabrera tisse des liens sociaux, comme il rapproche des genres cinématographiques (documentaire, essai, fiction) que l’on a trop tendance à vouloir cloisonner. À la question d’habiter dans le monde il répond par cohabiter le monde. Au quotidien. Dans le quotidien. Il est politique en cela. Parce qu’il nous parle d’un regard à l’écoute de l’autre. Et il est bon d’écouter ce regard. C’est un acte tout aussi politique.

Franck Lubet
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse