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Dewaere sinon rien

Du jeudi 08 décembre 2022
au jeudi 22 décembre 2022


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Acteur hors norme, Patrick Dewaere a traversé et marqué le cinéma des années 1970 comme une comète. Comme est rare le passage d’un tel astre. Une fulgurance : des Valseuses (1974), le film qui le révéla complètement, à Paradis pour tous (1982), son tout dernier film. Une décade durant laquelle il a brûlé les écrans et s’est brûlé à l’écran. Incandescent. Irradiant. Jusqu’à se brûler la cervelle. Patrick Dewaere s’est suicidé un jour de juillet 1982. Une balle dans la tête. Il avait trente-cinq ans. Trente-cinq ans… tu te rends compte de la perte, disait-il à Depardieu, à propos de Mozart, dans une réplique de Préparez vos mouchoirs (1978). Le pauvre mec, il est mort à trente-cinq ans, poursuivait-il. Quelle époque de cons !

L’acteur joue la vie,
il accepte d’endosser l’âme névrosée de l’homme,
pour qu’il se voie tel qu’il est.

Est-ce cette mort violente, trop tôt, qui en fait aujourd’hui un acteur culte ? Ou cet étrange parallèle entre les trajectoires de sa vie intime et les rôles qu’il a incarnés au cinéma ?… Un mauvais fils en proie à son beau-père, qui ne craignait pas de se mettre en valseuse pour trouver la meilleure façon de marcher, jouant au shérif pour chercher dans un hôtel des Amériques un paradis pour tous, et qui finira, sur un coup de tête, au bout d’une série noire, par dire adieu poulet ?…
Revoir Dewaere à l’écran a quelque chose de troublant. On ne sait plus où est la frontière entre le personnage et l’homme. On se demande s’il puise dans ses propres blessures pour donner vie à un personnage, ou si interpréter un personnage était devenu un exutoire ? Sommes-nous encore des spectateurs devant un film ou des voyeurs regardant un homme se débattre avec la vie ?… Dewaere a brisé ce fameux quatrième mur, semblant se mettre à nu, à vif, et pas seulement devant la caméra, mais déchirant l’écran. Il joue dans des fictions, mais sa filmographie résonne comme une frise documentaire sur lui. Et quand il met un coup de tête sur le capot d’une voiture dans Série noire, on a mal d’abord pour lui. Pas pour le personnage. Pas pour soi. Cette troublante impression qu’il ne s’agit pas de films avec lui, mais sur lui.

Alain Corneau dira plus tard : « Depuis sa disparition, il y a tellement de films qu’on ne fera pas… Il n’était pas seulement un interprète. Il occupait une place à part dans le cinéma français. Avec lui, on a perdu un personnage éminemment moderne. Patrick était un sujet en lui-même. Les films n’étaient que le développement de ce sujet. Il y a un sujet de film qui a disparu avec lui. On ne peut plus le traiter ».

En même temps, Dewaere n’était certainement pas qu’un sujet à traiter, ni un patient en traitement. Non, Dewaere n’était pas seulement un interprète. Il était aussi auteur. Un acteur-auteur dans la lignée de ce que Luc Moullet appela la politique des acteurs. D’ailleurs, on ne dira même plus un film avec Dewaere, mais un film de Patrick Dewaere. Lancé, enfant, comme ses frères et sœur, sur les planches, à la radio, à la télévision, où il apprend le métier, il s’en libèrera en passant par le Café de la Gare pour donner petit à petit le jour à un personnage – comme Chaplin avec Charlot ou Tati avec Hulot – que l’on retrouvera de film en film. Un personnage rimbaldien, romantiquement révolté. Un personnage qui n’était pas un double et qui n’avait de nom que celui qu’il s’était inventé : Dewaere.

Son frère, Dominique Collignon-Maurin écrira : « L’acteur joue la vie, il accepte d’endosser l’âme névrosée de l’homme, pour qu’il se voie tel qu’il est. Le drame, c’est que l’acteur se joue lui-même. Derrière le masque, il ne se protège plus, il est ce qu’il reflète. Patrick ne voulait que jouer ». Dewaere se mettait en jeu à chaque film. Il se mettait en « je ». Et désormais, quand on revoit la scène du capot de voiture de Série noire, on a mal avec lui. Parce qu’il est Dewaere avant tout.

Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse