🔴 [ATTENTION] La Cinémathèque de Toulouse sera fermée les 8 et 9 mai.
Ouverture au public le 10 mai à partir de 18h30

Alain Guiraudie

Du vendredi 31 mai 2024
au dimanche 30 juin 2024


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Allez viens, je t’emmène. Voici venu le temps. Le temps de ce vieux rêve qui bouge. Quand, à l’ombre du soleil pour les gueux, le roi de l’évasion rencontre l’inconnu du lac. Quand, par la force des choses, tout droit jusqu’au matin, on découvre que les héros sont immortels. Voici venu le temps. Le temps de rester vertical. Le temps de ce vieux rêve qui bouge. Allez, viens, je t’emmène. Pas de repos pour les braves.

Viens, je t’emmène en Guiraudie. Un pays lointain qui est juste de l’autre côté. Un pays peuplé de mouvements. En mouvement. Où l’on est de passage. Où l’on ne peut rester en place. Comme le vent traverse les causses, caressant les herbes qui en retour le rendent visible. L’espace d’un instant. L’instant d’un espace. Par ricochet. Un pays qui s’ouvre à nous comme Brigadoon, le village de la comédie musicale éponyme de Vincente Minnelli. Une fantaisie où des bergers d’ounayes côtoient des bandits d’escapade dopés à la dourougne pour échapper aux guerriers de poursuite et autres guerriers d’attente. Un pays de conte.

Et on y entre comme dans une chanson de geste. Par le langage. Une langue fleurie. Poétique. La Guiraudie est une contrée d’épopée et de mythe. Mais s’il aime raconter des histoires qui se nourrissent les unes les autres comme les routes mènent à d’autres routes, des histoires toujours extraordinaires, Alain Guiraudie n’est pas pour autant un troubadour des temps modernes. Il tient davantage du « troubladour ». Parce qu’il trouble les lignes. Il trouble les frontières. Des territoires. Du réel. Des genres. Du désir. Où le comique est aussi cosmique. Jamais cosmétique.

Le cinéma de Guiraudie dépayse. Par son ton, tout d’abord. Par l’imaginaire fécond qu’il déploie et la carte propice aux aventures picaresques qu’il déroule. Il dépayse surtout le cinéma français. Il le « repayse » plutôt, pourrait-on dire. Il remet au cœur de la France ce que l’on appelle désormais les territoires, la Province, disions-nous il n’y a encore pas si longtemps, loin des cartes postales que viennent chercher des cinéastes depuis trop longtemps parisiens. Ici, c’est pas Paris. On n’est pas chez Marie Claire Maison. C’est pas vu par… Paris. Alain Guiraudie ne filme pas en région. Il filme les régions. Il n’est pas pour autant régionaliste, au contraire il ouvre les frontières à l’universel. Chez Guiraudie, on traîne dans des lotissements anonymes, on vit dans des intérieurs sans cachet, des décors qui ne payent pas de mine. On est chez nous. Ce n’est pas glamour. Et c’est beau. Guiraudie saisit la beauté en se méfiant du joli. La vraie beauté. Celle que l’on ne sait pas voir. Et dans laquelle on se reconnaît immédiatement quand on nous la montre.

La Guiraudie, c’est beau parce que c’est la réalité. Parce que c’est vrai. Comme les corps qu’il aime filmer ; loin des canons de beauté imposés. Ces corps vrais comme ses décors ; qu’il aime filmer nus, crus, frontalement, s’offrant à la tendresse. Avec un désir réel. Le cinéma de Guiraudie dépayse, ou repayse donc, parce que sous ses airs fantaisistes il est extrêmement réaliste. Il nous parle de société. Du monde du travail et des luttes sociales. De la précarité. Du terrorisme. De la violence sociale. Tout en y mettant du « vivre ensemble », de l’amour et de la mort. Il tisse des liens, comme sa carte blanche prolonge la cartographie de son univers. Il ne repayse pas seulement le cinéma, il le repeuple. Il remet du peuple dans le cinéma. De l’humain. Du vivant. Du mouvement. Un vieux rêve qui bouge. Pour rester vertical. Pas de repos pour les braves. Les héros sont immortels

Franck Lubet,
responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse